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Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs
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  • "Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs" regroupe des analyses, critiques, récits, points de vue personnels sur le cinéma, le théâtre et l'art. A lire avec un thé ou un chocolat chaud.
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9 mai 2012

"Blow Out" (1981), Brian de Palma

75554536_pTous les réalisateurs comptent un certain nombre de casseroles dans leurs filmographies qui s’avèrent, avec la postérité, celles de restaurants étoilés. Echec commercial cuisant à sa sortie en 1981, Blow Out, écrit et réalisé par Brian de Palma, rentre dans cette catégorie jusqu’à être considéré comme l’un de ses meilleurs films, comme l’estime le filmivore Quentin Tarantino qui lui a rendu hommage dans Boulevard de la mort. Le rapprochement entre ces deux cinéastes n’est pas anodin puisque tous d’eux font des films de référence et référentiels qui expriment leur cinéphilie. Celle-ci prend une tournure particulière dans Blow Out (éclater) puisqu’il s’agit d’un remake librement inspiré du Blow Up (agrandir) de M. Antonioni tout en reposant sur une mise en abyme.

Le film s’ouvre sur une séquence de slasher bas de gamme reposant sur de nombreux codes du genre utilisés antérieurement par J. Carpenter dans Halloween : caméra subjective, mobile et fluide, respiration du tueur, couteau à la main et jeunes filles à demi-nues. Alors que le tueur brandit son arme blanche, la jeune fille visée pousse un cri d’un ridicule drolatique. Quelque chose cloche et, connaissant le style de Brian de Palma, on se doute bien que le réalisateur se joue de nous, comme dans Dressed To Kill dont la scène d’ouverture s’avère être un cauchemar révélateur sur la protagoniste. Ici, la séquence d’ouverture ne repose non pas sur un rêve mais sur une fiction puisqu’il s’agit en fait d’un extrait de film d’horreur, mis en scène de manière parodique,  sur lequel travaille l’ingénieur du son Jack Terry (surprenant John Travolta dans ce rôle). Or, le spectateur peut en témoigner, le cri et les bruitages sont médiocres. Sous l’ordre de Sam, le réalisateur, Jack doit enregistrer de nouveaux sons d’ambiance et trouver une nouvelle crieuse. En pleine nuit, alors équipé de son magnétophone et de son micro-perche sur un pont surplombant une faune et une flore entourant un lac, Jack assiste à l’accident d’une voiture qui sombre dans l’eau après une explosion. Il s’empresse alors de sauver les passagers et ne parviendra qu’à extirper la seule rescapée, Sally, jeune maquilleuse naïve et escort-girl engagée par des politiciens véreux (Nancy Allen habituée aux rôles de prostituées). Le conducteur décédé s’avère quant à lui être le gouverneur Mac Ryan, fraîchement élu et potentiel futur président des Etats-Unis, introduit précédemment par un split-screen sur un journal TV et le travail de Jack sur des bandes-son d’explosions. Ainsi démarre l’intrigue de Blow Out,  thriller pluriel dont la clef repose sur la puissance et les techniques du cinéma et plus particulièrement du son. Jack, qui a enregistré l’accident sur son magnétophone, écoute obsessionnellement la bande et découvre qu’il s’agit d’un attentat : le pneu n’a pas crevé mais il a explosé suite à un coup de feu, révélation mise en scène par une surimpression rappelant une bulle de BD qui associerait Jack et sa pensée, comme s’il était enfermé dans sa propre perception. Si les références au complot et à la corruption sont présentes, notamment avec la mention au film Zapruder (film amateur qui a immortalisé l’assassinat de JF Kennedy), Blow Out ne repose pas dessus puisque l’on découvre rapidement que le meurtre a été l’initiative d’un seul homme, Burke, qui a bravé les interdits des supposés commanditaires et qui se transforme en tueur obsessionnel semblable au giallo, comme  celui des Frissons de l’angoisse de Dario Argentino dont le rôle principal est tenu par David Hemmings, acteur de Blow Up.

Commence alors une enquête vaine pour faire jaillir cette vérité que l’entourage du gouverneur cherche à étouffer et qui prend un tournant avec la découverte d’un homme, Manny Karp, qui a filmé la scène et a vendu ses clichés. L’enquête est vaine parce que dès la scène du pont le spectateur peut pressentir que le protagoniste est condamné : il voit un homme, Burke, caché sur une rive et que Jack ne voit pas dans la précipitation. Or, tout du long, la mise en scène repose sur la mécanique du suspense décrite par A. Hitchcock, influence majeure dans le cinéma de Brian de Palma : le spectateur en sait toujours plus que les personnages et, impuissant, il les voit se faire manipuler comme des marionnettes. Ce choix de mise en scène marionnettiste reposant sur le suspense révèle les enjeux cinématographiques de Blow Out : le rapport entre réalité et fiction. Ici, le tueur est un metteur en scène qui manipule, maquille des crimes et maîtrise l’espace et le temps. A contrario, Jack ne met pas en scène.  Il reproduit la scène (comme on peut le voir dans une séquence hommage à Blow Up où il fabrique le film du crime à l’aide des images de la planche-contact  de Manny Karp qu’il découpe et met en mouvement sur une table de prise de vue et sur lesquelles il ajoute sa bande-son) et croit maîtriser alors qu’il est manipulé et soumis à la fatalité (comme le présage son accident de voiture dans une vitrine de mannequins en plastique dans sa course spectaculaire pour sauver Sally). Marionnette de Burk, il est aussi celle de Brian de Palma qui l’ancre dans cette fatalité. Le flash-back sur la mise en écoute d’un policier à l’issue tragique renvoie à celle de Sally, la relation Jack-Sally fait échos à celle dramatique de Scottie et Madeleine-Judy dans Vertigo de A. Hitchcock et Jack se retrouve enfermé par la mise en scène (la surimpression mentionnée précédemment, ses écouteurs qui l’isolent du monde, le temps ralenti que lui impose le réalisateur lorsqu’il s’élance dans une foule dynamique pour retrouver Sally).

3_reasons_blow_out_stillContrairement à Sœurs de sang et Dressed To Kill, thrillers plus légers où les enquêtes fondées sur la vue et l’image étaient ménées par une journaliste inséparable de ses jumelles ou par un adolescent surdoué aidé par une caméra trafiquée, il y a quelque chose de beaucoup plus sombre dans Blow Out où la réalité vire au cauchemar qui, à cause du poid sonore et d’une interpénétration entre réalité et fiction, atteint son paroxysme à la fin du film. Si Jack parvient à tuer Burke, il découvre le cadavre de Sally sous un feu d’artifice qui apporte une dimension visuelle immatérielle, voire onirique : les artifices prennent ici le dessus sur la réalité, le faux sur la vérité. La séquence de clôture est encore plus insoutenable : Jack, qui avait mis sur écoute Sally, a enfin trouvé LE cri demandé par Sam, le rendant fou. Or, cette folie avait été annoncée par ses propres phrases (« Tu as le choix entre la mort ou la folie »). L’une est morte et l’autre sombre. L’élément déclencheur devient élément de résolution. La boucle est bouclée, comme si Brian de Palma, désenchanté comme ses personnages (rappelons que Jack finit comme preneur de son de série B alors qu’il était ingénieur surdoué pour la police et que Sally est une simple maquilleuse alors qu’elle rêve d’exercer dans le cinéma) leur avait fait subir tous ces vas-et-viens dans l’unique but de trouver ce cri contenant la vérité dans une diégèse faite de manipulations et de faux-semblants.

Si Blow Out s’est révélé postérieurement être une casserole en argent, c’est bien parce que ce film semble le plus personnel du réalisateur. Chaque plan est une démonstration de sa virtuosité et de sa maîtrise de la mise en scène. Utilisation de tout le champ et du hors-champ, tensions à l’intérieur du cadre, ralentis, split-screens, surimpressions, multiplication des angles de prise de vue, surimpressions, mobilité et fluidité de la caméra, variation des focalisations… Ces effets ne sont pas gratuits : ils happent le spectateur mais ils servent surtout à intégrer une dimension cinématographique dans la réalité du film (séquence du pont) et à manipuler les personnages. Blow Out, par sa réalisation et son sujet, est un film qui parle de cinéma. Si quelques éléments viennent afflaiblir l’ensemble (la musique de Pino Donaggio a vieilli et il y a quelques temps flaibles au milieu du film), Blow Out est un film d’auteur incontournable pour les questions qu’il soulève sur le cinéma. S’il est catalogué dans la rubrique « thriller », je le range dans mes manifestes en 24 images par seconde sur ce qu’est le cinéma.

Pauline Pécou

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