"A l'aube de la création" : note d'intention mise en scène
Il y a quelques années, j’ai eu un coup de cœur foudroyant pour un jeune artiste, auteur et comédien. Cheveux hirsutes, barbe brousailleuse, sourire malicieux et regard d’une douceur bleutée. Ce « type », Zack Naranjo, cachait définitivement quelque chose. Alors que j’avais été longtemps baignée dans une culture « classique », celle des grands textes et des grands noms, issue de mon héritage familial et de mes études de lettres, je me suis retrouvée plongée dans un bain nouveau et destabilisant où les bulles crépitent, changent de couleurs et explosent pour laisser place à une eau tournoyante et mystérieuse.
En lisant A l’aube de la création, j’ai tout de suite été replongée dans ce bain. Les personnages virevoltent sans cesse, les répliquent claquent, les personnalités craquent, les situations se répètent pour mieux se déconstruire et lorsque nous croyons être arrivés à l’acmé d’un délire jubilatoire et généralisé, l’auteur se joue de nous lors d’une dernière révérence espiègle.
Lorsque Zack Naranjo m’a proposé de mettre en scène A l’aube de la création, c’est sans hésitation que j’ai accepté de me lancer dans cette folle aventure parce qu’il me fallait donner vie et corps à ces personnages et matérialiser toutes les images et sensations que cette pièce si dense m’avait procurées !
Sans doute inconsciemment, c’est en terme de couleurs que j’ai pensé cette mise en scène. J’ai cherché à appliquer un dégradé personnalisé à chacun de mes comédiens, au potentiel caméléonesque précieux, dans la perspective de créer un monde hybride en diluant différents solvants : cynisme sérieux et absurdités légères, nonchalance touchante et pédanterie désopilante, hystéries manipulatrices et névroses aimables, réalité fantasque et fiction farfelue.
Si Zack Naranjo a été fortement influencé par la peinture dans l’écriture de A l’aube de la création, je l’ai été à mon tour dans le dessein de mettre en forme cette comédie comme une série picturale aux couleurs vives où chaque acte peut se voir comme un tableau éclairé par des projecteurs aux intensités variables, dévoilant des traits de pinceaux invisibles auparavant et révélant habilement des mœurs et portraits d’une société décadente dont nous, la Compagnie du Poisson qui Pique, ne cesserons de nous jouer pour provoquer des éclats de rires jaunes, nacres, verts, bleus ou noirs.
Pauline Pécou