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Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs
Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs
  • "Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs" regroupe des analyses, critiques, récits, points de vue personnels sur le cinéma, le théâtre et l'art. A lire avec un thé ou un chocolat chaud.
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7 mai 2012

"Elena" (2012), Zviaguintsev

421603_10150651085724507_656219506_8942278_1440626401_nElena, primé au Festival de Cannes 2011 dans la sélection « Un certain regard », est le dernier film russe qui parvient à faire parler de lui dans les milieux avertis, parce que peu accessible, en salle ou auprès du public. Pas surprenant a priori que la séance aux Cinq Caumartins à laquelle j’ai assistée a subi l’unique invasion de seniors branchés.

S’il peut sembler inapproprié, voire de mauvais goût, de soulever cette fracture au sein du public d’Elena, le film traite pourtant de fractures. D’un côté sociale entre la famille de Vladimir, riche retraité à la santé fragile, et celle de Elena, quinquagénaire robuste de modeste condition qui tente désespérément et aveuglément d’aider sa famille avec sa faible pension. De l’autre générationnelle : Katia (fille unique de Vladimir) est une fille bordeline et cynique qui reproche à son père de l’avoir trop gâtée tandis que Sergueï (fils unique d’Elena) est un fils paresseux et assisté qui abuse de sa mère.

Malgré l’harmonie apparente formée par le mariage de secondes noces entre Vladimir et Elena, ces ruptures créent des tensions peu visibles mais irréversibles. L’honorable attention d’Elena envers son époux, qui le réveille, refait son lit, lui prépare le petit-déjeuner et suspend ses activités pour lui, tourne rapidement à la soumission d’un infirmière à son patient (comme on peut le voir dans une scène-miroir sur une infirmière qui range la chambre de Vladimir après son départ de l’hôpital), voire d’une esclave à son maître ; le comble étant qu’elle a bien été infirmière et qu’elle tente désormais de panser les maux de la classe sociale dont elle est issue et où son fils est resté malgré le remariage. Or, le pansement suinte : Sergueï  demande à sa mère une aide financière pour que son fils échappe au service militaire alors que Vladimir refuse son aide, prône un maintien de l’ordre établi et compte rédiger un testament à l’avantage de sa fille, après un accident cardiaque. Comment guérir cette plaie ? La si douce, docile et discrète Elena trouve la solution dans un dictionnaire médical : des pilules bleues qui ont sans doute déjà été utilisées lors d’une scène d’intimité suggérée entre les deux époux, alors qu'ils font chambre à part. L’infirmière inoffensive devient bourreau, le sang ne peux plus coaguler, le crime est parfait.

Elena, c’est donc avant tout le portrait dur et déprimant d’une société russe où il n’y a que des ordures et où « l'égalité et la fraternité n'existent qu'au royaume des cieux » (Vladimir), dépeinte à la manière du drame naturaliste russe, plutôt que celle du cinéma-vérité de Vertov, sans pour autant atteindre la splendeur de ces esthétiques, loin de là. Si l’histoire peut être intéressante, la manière de la raconter est d’un monolithisme primaire. Si je peux accorder que la rigueur et la froideur de la mise en scène (plans fixes, effets visuels réduits, travail sur le temps et le silence) s’accordent théoriquement avec la dureté du fond, il n’en demeure pas moins que les ficelles sont faciles et pompeuses. Les personnages sont poussés jusqu’à la caricature (Sergueï est bien sûr gros, alcoolique, paresseux, rustre et sale ; Katia est naturellement une fille à papa rebelle portée sur le sexe et la provoc’ ; on se demande comment le petit-fils pourrait rentrer à l'université malgré l'enveloppe alors qu'il passe son temps devant une console vidéo lorsqu'il ne va pas tabasser d'autres jeunes ;  et même Elena suscite plus de pitié agaçante que d’empathie), les plans et les situations se répètent sans grande originalité et la musique puissante de Philip Glass se révèle au montage excessivement grandiloquente et la plupart du temps gratuite. On en vient à se demander ce qu’ont fait Tchékhov (pour le théâtre) et Einsenstein (pour le cinéma) pour laisser un héritage aussi décevant porté par la lourdeur, la redondance, le manichéisme et une vision déterministe superficielle.  Dans Elena, la mise en scène de  Zviaguintsev cède au penchant du cinéma à se regarder et à s’admirer, de manière nombriliste. Peu importe qu’un film traite de gens pourris, ce qui est surtout critiquable ici, c’est l’approche hautaine du réalisateur qui plaque des réponses sans nécessairement soulever de questions, et stérile parce que sans partage.

Alors qu’en ce début de séance, je pensais que la salle comprenait une rupture générationnelle où les fameux seniors branchés seraient acquis, je me suis rendue compte à la sortie de ma grossière erreur. Pour une récompense gagnée, Elena a perdu une trentaine de spectateurs entre 14h et 16h, parce que concernant l’avarice et la pédanterie « toutes les mouches ne peuvent pas se tromper » (Katia) et que, bien sûr,  le cinéma n’est pas une question de générations.

 

Pauline Pécou

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