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Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs
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  • "Le quart d'heure du quatre-heures cinématographique et autres douceurs" regroupe des analyses, critiques, récits, points de vue personnels sur le cinéma, le théâtre et l'art. A lire avec un thé ou un chocolat chaud.
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4 août 2010

"The Big Shave" (1967), Martin Scorsese

big_shaveAlors que vous êtes très nombreux à louer Shutter island (film qui a le mérite d’enflammer David pendant plusieurs dizaines de minutes comme la BO de Dirty dancing qui met ses hanches dans un état de transe indescriptible), JM VIDEO a jugé intéressant de revenir sur les débuts de Martin Scorsese avec son court-métrage d’environ six minutes : The Big Shave sorti en 1967 et qui révélait déjà son génie de la supercherie. Comme le titre l’indique, ce court-métrage repose sur une séance de rasage dans laquelle le geste quotidien, qui est au début d’une banalité déconcertante, se transforme en un acte de mutilation atroce et incompréhensible, et le passage de l’un à l’autre se déroule subtilement, comme Scorsese sait si bien le faire.

Le décor de la salle de bain, immaculée d’un blanc éclatant, est bien trop familier. La lumière est bien trop dure et artificielle. Le rouge de la brosse à ongle est bien trop agressif. La chanson jazzy de Bunny Berignan fait trop penser à l’époque déchue des crooners américains. Et puis les chiottes… L’atmosphère est trop stable et il semble impossible de dégager une quelconque intrigue alors que ses éléments constitutifs ont déjà été présentés. L’arrivée du protagoniste, jeune blondinet propret, ne fait qu’accentuer l’incompréhension. « Mais c’est une publicité pour de la mousse à raser ? C’est quoi ce court-métrage de débutant ? Il s’est amusé à parodier les codes du cinéma classique dans une pauvre salle de bain avec les trois péquenots qui l’ont aidé ? ».

Se poser ces questions, c’est méconnaître Scorsese. Cette banalité tranquille est en réalité une illusion qui permet de mieux duper. De manière brutale, l’agression visuelle, d’une violence inouïe, se produit sous nos mines effarées. " Mais qu’est-ce qui lui prend au mec de se taillader comme ça ? Il est fou !". De la petite coupure, le geste du rasage devient une effusion d’hémoglobine, souvent montrée par un montage parallèle. Du sang. Partout. Sur le torse, les cuisses, les pieds… Et surtout dans un évier (clin d’œil évident à Psychose de Hitchock) dont le tourbillon hypnotisant va digérer le désastre.

Ce court-métrage n’est pas gratuit. Comme le pense JB Thoret, spécialiste du Nouvel Hollywood, il illustre le passage de le l’ancien au nouveau (petite référence à Eisenstein avec ce film dont le titre le plus connu est  La ligne générale), d’une diégèse rassurante (« la surface ») à ce qu’il y a de plus incompréhensible (« la profondeur »). Le petit blondinet n’est personne et tout le monde. Hermétique et dual, il libère ses pulsions, se met à nu devant le spectateur tout en espérant un jour meilleur (interprétation que l’on peut donner lorsqu’il repose son rasoir après avoir survécu à son propre carnage). The Big Shave, c’est l’histoire de l’Amérique qui se joue dans une salle de bain. Et c’est cela le génie de Scorsese : réussir à nous faire délirer pendant des heures à partir de six minutes d’images. Et si après l’avoir vu, vous aimeriez encore délirer, nous vous conseillons le mythique Taxi driver sorti en 1976 et qui s’inscrit dans cette même lignée.

Pauline Pécou pour JM VIDEO

(Je me permets de dédier cet article et le précédent sur Le laureat à Monsieur Pillard, professeur de cinéma génialissime de Paris X)

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